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JE PARS FAIRE LA FÊTE

Le carnaval de Binche, ferveur d’un jour

Vous allez probablement me déclarer que les Gilles, vous connaissez et que vous en avez d’ailleurs rencontrés dans un quelconque carnaval, voire dans une ville de Suisse ou de France.
Erreur! C’étaient des faux! Les vrais, ceux qui perpétuent la tradition multiséculaire du carnaval de Binche (Belgique), classé au patrimoine historique de l’UNESCO, ne sortent jamais de Binche et uniquement le jour de Mardi gras.

Il faut les voir, ces Gilles, la tête haute et le pas cadencé au rythme appliqué du tamboureux! Cet événement, ils l’ont préparé de longue date au gré des réunions des associations des Gilles de Binche qui sont environ une dizaine, avec à peu prés 100 Gilles par association. Attention, n’est pas Gille qui veut. Pour le devenir officiellement, il faut être de nationalité belge et vivre à Binche depuis au moins cinq ans.

L’habit fait le Gille: C’est à environ trois heures du matin du Mardi gras que se lève un Gille. Il doit alors recevoir des membres de sa famille et des amis qui assisteront à l’habillage savant du personnage.
Michel Henrist, Gille éminent de l’association des Reguenaires, vient d’endosser un justaucorps et un pantalon  aux couleurs de la Belgique (noir, jaune et rouge) avec le lion comme emblème (une fois le costume utilisé, il sera ensuite loué d’occasion aux Gilles officieux des autres villes ou villages de la Wallonie). Son épouse s’applique à respecter scrupuleusement les rites de l’habillage du Gille en commençant par le bourrage de paille de son ventre et de son dos, en rappel du personnage de Polichinelle de la Commedia dell’arte. Puis on serre le cordon de la ceinture du pantalon pour ne laisser passer aucun brin de paille. Ensuite, on place la «bavette» (bonnet blanc) sur la tête, puis la collerette rappelantrappelant un peu les fraises du 16e siècle, puis la ceinture de clochettes, puis le grelot qui ne peut être placé sur le ventre du Gille que par son épouse, sa fille ou sa fiancée.
Michel Henrist a à peine chaussé ses sabots de bois, (ultime accessoire du Gille) et empoigné le «rameau» traditionnel, qu’on sonne à la porte. C’est le début du premier rituel: le ramassage des Gilles.

Gilles en herbe: Bien qu’il soit impossible d’être Gille avant douze ans, les enfants ne sont pas laissés pour compte. Des groupes très structurés se forment également avec déjà quelques traditions gilles, notamment l’accompagnement de tamboureux et les jets d’oranges. Ce sont les Paysans, les Pierrots et les Arlequins, tous, comme il se doit, issus de la Commedia dell’arte.

Champagne pour tout le monde!: En ouvrant la porte, Michel laisse entrer le son régulier d’un tambour: «rrrran pata plan pata plan, plan plan, rrrran, etc.». Il sort alors pour se joindre à trois autres Gilles qui l’attendent sur le pas de la porte en faisant claquer leurs sabots sur les pavés dans un ensemble parfait, se faisant face les uns aux autres. Michel se retourne alors vers la porte et monte les escaliers, une invite tacite aux autres Gilles de le suivre (amis et parents). Tous se souhaitent «bon carnaval ». La maîtresse de maison sert le champagne (du  vrai!) à tout le monde (Gilles et autres). Après une agape qui dure environ un quart d’heure, le «tamboureux» se remet à l’oeuvre et tout le monde sort au pas cadencé pour prendre le chemin du domicile du Gille suivant et ainsi de suite, avec, à chaque fois, champagne pour tout le monde! Carnaval de BincheReprésentez-vous un peu le dernier Gille de la série qui doit servir près d’une centaine de coupes de champagne à ses collègues et leurs suites! Partout dans la ville, les groupes de Gilles, petits ou grands, se croisent et se font la bise en se souhaitant «bon carnaval». Pas d’animosité, pas de jalousie qui tienne. Tout le monde est heureux. Huit heures: c’est l’heure dupetit déjeuner. La joyeuse troupe s’arrête au local de l’association des Reguenaires pour s’y restaurer. Au menu: champagne, huîtres et saumon fumé. Puis on repart chercher les derniers Gilles qui manqueraient pour terminer le périple chez le Gille du départ qui, et pour cause, n’a encore accueilli personne.
Une fois l’opération terminée, l’équipe d’environ 25 Gilles rejoint les autres groupes de Gilles de leur association sur la place de la gare. Les tamboureux sont maintenant une demi-douzaine à frapper dans un ensemble parfait. Le groupe de Gilles se retourne en cadence pour leur faire face. Les tamboureux redoublent de roulements et le rythme s’accélère. Dans des mouvements plus saccadés, les Gilles sont comme dans une transe passagère. C’est une apothéose, un point d’orgue.

Se produit alors un événement hallucinant:
Chaque Gille adulte met un masque sur son visage, identique à celui du voisin. Il représente un bourgeois du Second Empire avec la moustache, la barbichette et des lunettes vertes. Cette équipée fantasmagorique d’une centaine d’individus masqués descend ainsi la rue en brandissant chacun un rameau de la main droite. Impossible alors de distinguer un Gille d’un autre, à croire que cette partie de la tradition ait eu pour but de permettre à tout un chacun de se payer la tête d’un passant sans pouvoir être identifié.

Carnaval de Binche

Rondement mené: En grande délégation, l’équipée des Reguenaires déferle sur la Grand-Place de Binche. Devant une lignée de tamboureux, les Gilles les plus jeunes (sans masque) forment une ronde et les adultes portant tous le masque forment un second cercle autour des jeunes. On appelle cela le «rondeau d’honneur». Contrairement aux rondes usuelles, les Gilles ne se tiennent pas par la main mais par le rameau. Ensuite, le groupe se dirige vers l’Hôtel de Ville pour une cérémonie officielle au cours de laquelle ils se verront remettre des médailles en relation avec leurs années d’ancienneté au service des Gilles de Binche. Puis, c’est une autre verrée de champagne au local des Reguenaires. A la sortie, le groupe se disloque en petits sousgroupes et chacun va, tambour derrière, vers son lieu de repas.

COUTUMES OBLIGENT
Un Gille ne doit, en principe, pas s’asseoir de la journée (certains n’en font qu’à leur tête, mais honte à eux!) et, lorsqu’il se déplace, doit être obligatoirement accompagné d’un tamboureux en action, qu’il aille rendre visite à sa copine ou chercher le mouchoir qu’il a oublié à la maison. Chaque déplacement doit se faire au pas claudiquant cadencé dont l’origine serait pré-chrétienne (celte paraît-il), un peu comme le pas chaloupé des bagadous bretons. C’est pourquoi, que ce soit pendant tout le temps du «ramassage» des Gilles, avant ou après le repas de midi, on voit se promener et se croiser un peu partout dans la ville des petits groupes de Gilles, des Gilles isolés ou par petits groupes accompagnés, comme il se doit, de leur tamboureux. Le rameau (qui, à l’origine fut un balai, et dont, au fil des siècles, il ne reste plus aujourd’hui que la brosse) contient à lui seul toute une symbolique, celles des relations amicales entre un Gille et quiconque dans le public. Le Gille jette alors son rameau qui est attrapé au vol par la personne désignée (attention, surtout ne pas le laisser tomber!) qui se rapproche du Gille en question pour le lui rendre en lui faisant la bise. Certains Gilles savent choisir leur victime…

Oranges et plumes: Après un repas en compagnie de sa cellule familiale, il est temps pour le tamboureux de se remettre au travail. Il n’a quasiment pas arrêté de battre tambour pendant sept heures d’affilée, qu’il neige ou qu’il vente, et il doit encore tenir le coup jusqu’à minuit environ ou, après le tirage des feux d’artifice servant de clôture à la dernière parade, il aura raccompagné chaque Gille chez lui. Michel Henrist doit donc reprendre son pas cadencé et partir à la recherche de ses compagnons pour le grand cortège de l’après-midi, celui au cours duquel il sera accompagné d’un ou plusieurs porteurs d’oranges qui rempliront régulièrement son panier d’osier lorsqu’il jettera des oranges à la foule, plus ou moins adroite à les rattraper.
Carnaval de Binche

La cerise sur le gâteau est lorsque certains Gilles (si la météo le permet, car de tels accessoires coûtent fort cher) se coiffent d’un immense chapeau monté de plumes d’autruches pour déferler en cadence à nouveau sur la Grand-Place. Alors ils sont heureux… mais heureux, ces Gilles dansant cette danse rituelle une orange à la main pour la balancer (fermement parfois) dans la foule qui tend les bras pour avoir droit à son orange pleine de symboles. On dit que certains jours de carnaval, lorsque les paniers d’osier sont bien garnis, les caniveaux débordent de jus d’orange, ce qui donne à Binche un parfum assez agréable.
Bien souvent, le cortège est loin d’être terminé qu’il n’y a plus d’oranges, ni dans les paniers, ni dans les sacs à dos des porteurs. Les Gilles ne s’arrêtent pas pour autant de danser en brandissant leurs paniers en l’air.

Texte et photos Gérard Blanc

 

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