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Laponie : L’aventure au bout de la piste

Qui n’a jamais rêvé de se glisser dans les bottes d’un aventurier, pour revivre les pages d’Hemingway, Cendrars ou London ? Qui, à la lecture de Croc-Blanc, n’a pas espéré sentir un jour le picotement du froid sur ses joues, et  parcourir des étendues de blancheur immaculée, au-delà du cercle polaire, à des kilomètres de toute région habitée, entraîné par des chiens-loups dans leur course folle ?

Et voilà. Sans trop savoir comment, on se retrouve un jour au nord de la Finlande, les deux pieds campés sur des patins. Cramponné à un traîneau, on crie des «Dgi !» et des «Ho !» pour encourager des huskies à tourner, en s’efforçant au mieux de suivre le convoi de huit attelages qui file dans les plaines lapones. Et soudain on aperçoit l’un des conducteurs qui court au milieu de la piste. Son attelage est parti du mauvais côté, il a lâché prise, et les bêtes ont continué. Il faut alors arrêter la caravane, et, ralentis par les couches de vêtements, aller chercher les frondeurs. On ne sait jamais où on va les retrouver, car un husky lancé ne s’arrête pas; pire, seuls, les chiens risquent de se bagarrer.
Les voilà de retour. Le guide allonge son bras: nous repartons, sur un rythme de croisière.

Course folle en traîneau

Nous traversons de jolis sous-bois aux formes douces, les arbres ankylosés par la neige, d’où l’on s’attendrait à tout moment à voir surgir Croc-Blanc.
Nous suivons une pente légère lorsque la piste amorce un virage plus serré. Vite, il faut freiner, à l’aide d’un tapis de caoutchouc, pour tendre la corde et mettre le poids du bon côté: le gauche ? non ! le droit ! … patatras ! On se retrouve le nez dans la poudreuse, toujours cramponné, mais les chiens tirent si fort qu’il faut lâcher prise.
On a beau crier «Halt ! Halt !», rien n’y fait; heureusement, le conducteur précédent a le temps d’«amarrer» son attelage avec une ancre et de stopper les fuyards. Ouf!

Lors des arrêts, nous évitons de sortir de la piste: un pas de côté, et on s’enfonce jusqu’à la taille. Nous surveillons aussi constamment les huskies, dont la hâte de courir est telle qu’ils ne cessent de tirer sur les cordes  et de vouloir arracher les harnais à coups de dents. D’impatience, certains grattent la neige jusqu’au sang. Pour ces raisons et pour ne pas casser le rythme de ces coureurs athlétiques, on ne fait pas de pause pour déjeuner.

Huskies à l'arrêt

Enfin, après une quarantaine de kilomètres, traversant un lac gelé, nous apercevons deux petites cabanes de bûcherons sur la rive: nous voilà arrivés au campement, harassés et affamés. Et maintenant? On glisserait les pieds sous la table pour déguster un repas fumant? Point s’en faut. Pour commencer, on dételle les huskies et décharge le matériel; c’est l’occasion de témoigner à ces chiens nobles toute la reconnaissance que l’on éprouve pour nous avoir tirés sur des kilomètres des heures durant, sans faillir. Et puis peut-être, plus confusément, pour le sentiment qu’ils ont la charge de notre survie.
Ensuite, il faut faire du feu dans les poêles à bois, mettre à décongeler notre repas et celui des chiens, aller chercher de l’eau dans le lac: à l’aide d’un grand vilebrequin, on fait un trou dans la glace, en espérant qu’elle ne sera pas trop épaisse. Environ 60 centimètres cette fois (il suffira d’une nuit pour le reboucher). On ramène 8 grands seaux. L’eau est pure, elle servira autant à nous désaltérer qu’à faire la vaisselle et alimenter le sauna: même en pleine nature, on ne coupera pas à la tradition la plus répandue du pays. Le confort de la cabane est spartiate mais convivial, une table en bois avec des bancs, un poêle, une kitchenette et des lits superposés disposés autour de la pièce, avec des bougies pour s’éclairer.
Après avoir déjeuné en fin d’après-midi, donné à manger aux chiens, fait un sauna, dîné vers 22 heures, nous nous couchons enfin, fourbus mais émerveillés, avec pour seul regret à cause du temps couvert, de n’avoir vu ni le ciel fourmillant d’étoiles – ici vierge de toute pollution lumineuse – ni une légendaire aurore boréale.

Un repos bien mérité au campement

Réveil de bonne heure, petit déjeuner rapide, étouffement des feux, nettoyage du campement, et nous revoilà sur les traîneaux, pour une nouvelle étape. On maîtrise mieux la conduite du traîneau, et le rapport de confiance avec les huskies s’est renforcé: on commence à se prendre pour des vrais mushers.
Le paysage alterne entre collines boisées et vastes étendues gelées, lacs ou marais dont les confins disparaissent sous les bourrasques de neige. Le guide annonce un virage dangereux sur une pente glacée en dévers. Avec appréhension, nous le franchissons un à un.
On s’élance, le traîneau commence à déraper, on freine un peu, il nous échappe, on saute à côté en courant pour rétablir l’équilibre, les bras tiraillés, on s’enfonce dans la poudreuse, les chiens tirent tant qu’ils peuvent, la luge vacille, soudain, miracle, d’un sursaut d’énergie on réussit à sauter sur les patins et le traîneau s’extirpe enfin du bourbier pour rejoindre la piste. Au suivant.
La neige tombe de plus en plus drue, on n’y voit goutte. L’étape du jour est longue, on sent que les chiens, entre les montées et la poudreuse, commencent à fatiguer. Dans la campagne opaque, on ne distingue plus le tracé de la piste. Soudain, au milieu d’un marais gelé, les chiens du guide bifurquent sans repères, suivant d’instinct ou de mémoire le trajet le plus court qui mène à la cabane. Leur maître nous racontera aussi que les huskies font de bons baromètres: il est arrivé qu’ils refusent d’avancer à 50 mètres d’un lac, ayant pressenti que la glace ne les porterait plus.

Au campement

A l’arrivée, à peine dételés, les chiens éreintés se mettent en boule pour un repos bien mérité. La neige qui tombe les isolera du froid.
Le soir venu, après l’eau, les feux, le sauna et les repas, on se retrouve assis sur le perron de la cabane, à écouter le silence profond de la nature enneigée, à scruter dans la nuit le contour des arbres, du ciel et du marais gelé. Alors, par bribes, on se raconte nos vies, nos voyages, nos rencontres – un peu ébahis de réaliser qu’on ne se connaît que depuis deux jours à peine.

Texte et photos: Isabelle Blanc

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