L’art de siroter l’ouzo
L’ouzo est une boisson dont l’histoire est aussi complexe que l’est celle de la Grèce moderne. Symbole gastronomique. Nombreux sont les Grecs qui se déclarent incapables de résister à son parfum; tout comme certains n’en supportent même pas son odeur.
Chacun a ses habitudes
Certains le boivent pur, d’autres avec des glaçons, tandis que les palais sensibles le diluent avec de l’eau glacée (le glaçon crée des paillettes et dénature la richesse des arômes). Non seulement le taux de dilution varie selon les préférences (de ½ à ¼). mais, de plus, chaque producteur utilise une recette précise qui découle de traditions familiales parfois séculaires. Rien que sur l’île de Lesbos (Mytilène) il existe des dizaines de marques différentes, dont la plupart sont consommées sur place. Les autochtones et les taverniers locaux boycottent toutes celles qui s’exportent hors de l’île, car ils estiment que toute production dépassant les 10.000 bouteilles est une indigne production industrielle.
Recette
Tous les ouzos sont produits à base de marc de raisin, distillé après fermentation de trois à quatre semaines après la production du vin. C’est lors de la distillation que sont ajoutés les parfums: anis et autres herbes aromatiques selon la marque (anis étoilé, aneth, réglisse, fenouil, coriandre, etc.) en proportions variables. Deux marques sur trois sont originaires de l’île de Lesbo (le principal centre de production). Les meilleures d’entre elles sont reconnaissables à l’indication 100% distillé, qui figure sur l’étiquette, exceptionnellement en anglais. Cette indication certifie que le contenu de la bouteille est à 100% le produit de la distillation de raisins fermentés et parfumés dans la cuve avant ébullition. Sinon, il s’agit, selon la réglementation nationale, d’un distillat à 20%, le reste étant constitué d’eau, d’éthanol et d’aromates. Un ouzo qui se respecte doit titrer au moins à 40 degrés, les meilleurs atteignant les 42 degrés et même les 46 pour les amateurs endurcis dans le crime.
L’art et la manière
Pour apprécier un bon ouzo, il faut le boire en accompagnement d’un mézé (ces hors-d’oeuvre variés qu’on partage au milieu de la table). Un des paramètres essentiels dans la dégustation est l’environnement qui est difficilement dissociable du soleil et de la mer Egée: olives, anchois, tarama, féta et divers mollusques et autres produits de la mer, le tout en bonne compagnie. Un verre d’ouzo glacé à la main vous fera atteindre un des points culminants (l’Olympe) de la culture grecque. Pour ceux qui veulent ajouter une touche d’extravagance «à la française», il est possible d’ajouter à l’ouzo un trait de sirop de menthe pour obtenir un perroquet, ou un peu de sirop d’orgeat pour préparer une mauresque; ou quelques autres fantaisies auxquelles aucun Grec ne se prêtera jamais!
Histoire
Les origines se perdent dans la nuit des temps, mais sa consommation est attestée dès l’époque byzantine. Sous l’Empire ottoman, divers centres de production en généralisèrent la propagation sous le nom de «raki», qui vient de l’arabe «arak»: produit de distillation. C’est au cours du 19e siècle que les caisses provenant des centres de production de la mer Egée, transitant par l’Italie à destination de Massilia, étaient marquées de l’indication «per uso Massilia» ou «per uso potabile». Dès lors, le nom d’ouzo est resté puis devenu appellation d’origine contrôlée. Exclusivement produit en Grèce, l’ouzo, comme la fameuse absinthe interdite après la fin de la guerre de 1914-18, fut, en France, graduellement remplacé par le pastis.
Texte Adrianos Bordrez
Photos Gérard Blanc